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7 mai 2012 1 07 /05 /mai /2012 18:35

Saint-Brieuc est, bien qu'on tende à l'oublier, une ville universitaire. Antennes de Rennes I, de Rennes II et IUT, les offres de formation sont nombreuses. Et depuis quelques années, le campus de Saint-brieuc, dit "campus Mazier" (quartier de Balzac) s'ouvre au grand public.


Tous les ans, un cycle de conférences est organisé et donné par des maîtres de conférences et professeurs d'université sous la forme de cours magistraux suivis de séances de questions-réponses.


CoursPublicMazier.jpg

Le réservoir d'intervenants de qualité de l'université de Rennes 2 est énorme, et de nombreux sujets pourraient être abordés. Mais élections présidentielles de cette année obligent, le cycle de 2012 avait pour thème "Aimez-vous la politique ?".

 

Thème habilement choisi, puisque les Français(e)s se sont passionné(e)s pour cette longue campagne électorale! J'ai choisi d'assister au dernier des 6 cours publics organisés certains mercredis après-midi à 18h15 dans l'un des amphithéâtres du campus.

 

De début janvier à fin mars, conférenciers et publics ont discuté de la vie et de la mort d'une République, des guerres de religion, de la Seconde République, etc.

Pour la dernière séance, le professeur d'histoire contemporaine à l'IEP de Rennes Gilles Richard nous a proposé une conférence-débat autour de la question "Peut-on encore interpréter la vie politique française en terme d'affrontement droite(s)-gauche(s) ? Notez bien le pluriel des adjectifs!

 

CampusMazier-entree.jpg

 

Effectivement, en ces temps où la politique est dominée par le contexte de crise financière et de crise économique internationale, on est en droit de se poser la question. Après tout, quelle marge de manoeuvre reste-t-il aux hommes politiques ? Que sont devenues les idéologies du passé ? 

 

La question a intéressé un public de tous âges. L'amphi, probablement flambant neuf, n'était pas rempli, mais les auditeurs étaient relativement nombreux et étaient aussi bien étudiants et jeunes actifs que retraités.

 

campus-amphitheatre.jpg

 

L'intérêt pour cette question s'explique probablement, selon Mr Richard, par la perte de confiance du public en la gauche traditionnelle et en la droite traditionnelle. Cela se traduit notamment par une augmentation régulière de l'absention depuis les années 1980.

 

Les partis politiques, comme nous l'a rappelé Gilles Richard, sont des ensembles de gens qui pensent les problèmes de la société et essayent de proposer des mesures ou des solutions lors de campagnes électorales.

Si l'absention est élevée, cela signifie que l'offre ne correspond pas à la demande. Et notamment à la demande des classes les plus populaires, dont le conférencier souligne le profond désintérêt pour la vie politique. Certains vivent en effet dans des conditions tellement difficiles qu'ils ne peuvent se préoccuper d'autre chose que de leur quotidien incertain.

 

Il existe d'autres raisons à cette crise de confiance: l'impression que depuis 1981, tout a été essayé, l'importance de l'économie qui semble s'imposer aux dirigeants devenus impuissants...

En ces temps de scepticisme politique, la confiance semble se déplacer vers les extrêmes et vers le vote blanc. Le résultat du premier tour des élections présidentielles de 2012 abonde d'ailleurs dans ce sens.

 

Gilles Richard lit pourtant un paradoxe dans le rapport des citoyens à la vie politique. Ils sont désabusés, mais pas désengagés, et les grands candidats de l'élection présidentielle de 2012, à savoir François Hollande et Nicolas Sarkozy, étaient très clairement identifiés comme étant de gauche et de droite. Bien que les différences entre candidats sur le thème du capitalisme ne soient plus aussi prononcées qu'auparavant !

 

gauche-droite.jpg

 

Pour nous faire comprendre ce comportement, Gilles Richard nous a fait remonter dans l'histoire de France, jusqu'à la Révolution Française. Les Etats Généraux organisés en 1789 permettent pour la première fois au peuple français d'agir sur le pouvoir, via les cahiers de doléances et l'élection de conseillers.

 

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  Les Etats-Généraux: "Mirabeau apostrophant Henri Evrardde Dreux-Brézé" - Joseph Désiré Court

 

Depuis, le pays est resté très politisé, y compris sur des sujets qui ne le sont pas dans des pays voisins. Gilles Richard nous a cité le cas du débat sur l'école qui a très vite pris une tournure politique en France, alors qu'en Allemagne cela n'est pas le cas puisque ce sont les régions -ou Länder- qui gèrent elles-mêmes leurs systèmes éducatifs.

 

La France apparaît donc comme un laboratoire politique, ayant inventé les notions de souveraineté du peuple et de laïcité, mais aussi le suffrage universel masculin, et qui a testé pas moins de 17 régimes politiques différents (monarchie absolue, Commune de Paris, etc.) !

 

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                                       "La Liberté guidant le peuple" - Eugène Delacroix

 

1789 a été aussi, selon Mr Richard,  l'année de l'invention du clivage gauche-droite. Le pays entier se trouve divisé en deux blocs autour des notions de monarchie et de république.

A cette époque, la droite et la gauche se divisent déjà en sous-groupes. Si l'on en croit l'analyse de René Raymond, la droite est désormais composée de légitimistes, de bonapartistes et d'orléanistes, tandis que les Républicains deviennent modérés, radicaux ou socialistes.

 

La politisation du pays à cette époque est indéniable: la vie politique française se complexifie très vite, la participation est croissante, et la Révolution Industrielle amène une hausse du niveau d'instruction qui permet à de plus en plus de Français d'appréhender la complexité des théories politiques et de leur mise en oeuvre.

 

Ensuite chaque siècle se trouvera confronté à une question bien précise.

 

La question posée au 19ème siècle était celle du régime.

Le 20ème siècle y a répondu en imposant la République. Restait à résoudre le problème du contenu social de la République.

 

Des éléments de réponses ont été apportés en 1905 avec l'abolition du Concordat par Napoléon et l'introduction de la notion de laïcité, en 1906 avec la première grève générale à l'appel de la CFDT, en 1936 avec le Front Populaire et les congés payés... Pour certains, il s'agissait de mettre en place des dispositifs pour que le peuple récupère un peu l'argent de l'Etat.

Cette République a été définie comme un régime prenant en charge "l'égalité" promise aux Français, et l'associant à la "liberté" pour qu'ils produisent la "fraternité" énoncée dans la devise du pays.

 

liberte-egalite-fraternite.jpg

 

Depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, le débat se pose en terme de gauches et de droites, les deux termes ayant acquis leur pluriel.

Après 1968, on commence en effet à parler de "l'union de la gauche", expression paradoxale puisque s'il faut l'unir, c'est qu'elle n'est pas singulière.A droite, depuis 40 ans, différentes mouvances coexistent. Toutefois la famille libérale s'impose sur les démocrates chrétiens et les gaullistes.

Gilles Richard a également évoqué pour nous l'agrarisme, l'écologie politique, etc. Mais il nous a aussi rappelé qu'une seule et même culture politique pouvait être portée par différents partis: ainsi la mouvance communiste est-elle défendue par le PCF, Lutte Ouvrière, le NPA...

 

Les affrontements sociaux se sont encore complexifiés avec la multiplicité des familles politiques. Dans ce cas, comment faire une lecture bipolaire de la vie politique française ?

 

En outre, depuis Valéry Giscard d'Estaing, et dans le contexte de ce que Gilles Richard appelle la "Troisièle Révolution Industrielle" (depuis 1974) se pose une nouvelle grande question: la question Européenne. La France doit-elle s'intégrer de façon définitive et totale dans l'Europe ?

A l'inverse de la question du régime et de la question de la République sociale, celle-ci n'a été ni posée ni imposée par les gauches. 

drapeau-europeen.jpg

 

Elle est toutefois l'enjeu de la vie politique depuis une génération: est-ce que les gauches françaises pourront intégrer la France dans l'Europe tout en imposant une Europe laïque et de l'égalité sociale ?

La fondation d'ATTAC en 1998 était notamment une réponse de la gauche à la question. Il s'agissait d'essayer de franciser la vie politique européenne car l'intégration dans l'Europe était déjà commencée.

 

Enjeu de taille, la construction européenne explique aussi la distance prise par les Français avec les partis politiques existants, et surtout avec les partis traditionnellement forts.

Le système européen imposé par Jean Monnet n'est, selon Gilles Richard, pas démocratique, puisqu'il n'existe pas de gouvernement européen et pas de Constitution Européenne. Les citoyens ne se reconnaissent donc pas dans les décisions prises, car ils n'ont pas leur mot à dire. Et plus l'Europe prend d'importance dans la vie française, plus les citoyens se sentent impuissants.

 

Ce sentiment d'impuissance vient également du changement de société que nous vivons actuellement. Pour la première fois, des millions de gens sont au chômage, depuis parfois deux générations. Cela a notamment engendré une diminution de la force de la culture ouvrière, et donc une baisse du taux de syndication (à corréler avec une baisse du nombre de jours de grève depuis 1978).

 

syndicats.jpg

 

Le contexte actuel a également provoqué ce que certains appellent "le grand renoncement socialiste": l'abandon du programme de Mitterrand pour rentrer dans l'ère de la rigueur. Les plus fervents partisans du Mitterandisme ont donc été déçus et certains ne se reconnaissent plus dans les idées socialistes actuelles. Ils ont eu le sentiment que certaines questions étaient réglées en fonction d'impératifs autres que ceux des idéologies ayant fondé leur mouvement politique.

 

L'un des symptômes de la diminution de l'importance du clivage gauches/droites est également la diminution de la puissance du centre. Par définition, le centre n'existe que si la gauche et la droite existent. Quand les prises de position idéologiques de l'un et de l'autre se rapprochent, il est difficile pour le centre de proposer une alternative.

Pourtant certains tentent toujours de trouver des compromis politques. Leur idéologie, le centrisme, continue d'exister. Le centre, pas toujours. La question du parti pouvant l'incarner est souvent délicate. La démocratie chrétienne représentée par François Bayrou s'y essaye car elle ne défend ni le capitalisme, ni le collectivisme. Mais au niveau local il est parfois difficile d'appliquer la théorie et les élus centristes affichent souvent leurs préférences pour le centre-droit ou pour le centre-gauche.

 

 

Difficile d'être exhaustif sur un tel sujet! Gilles Richard a cependant nourri notre réflexion de ces analyses et de ces rappels historiques très intéressants. Certains d'entre nous sont repartis avec plus de questions que de réponses, mais c'est le jeu des cours universitaires.

 

Le directeur du campus Mazier nous a annoncé que le cycle de l'an prochain offrirait des pistes de lecture sur le "printemps arabe". De belles discussions en perspective, on a déjà hâte d'y être !

printemps-arabe.jpg          Les pays arabes touchés par le printemps arabe. (© Milan Presse/Jennifer Le Bot)

 

Y a-t-il d'autres thèmes que vous souhaiteriez voir abordés sur ce campus ? Que pensez-vous de cette idée de cours public ?

 

 

 

Des séances de rattrapage pour les cours publics de 2010, 2011 et 2012 sont disponibles ici:

http://www.univ-rennes2.fr/campus-mazier/cours-publics

 

Et pour vous donner un aperçu de l'ambiance habituelle de l'université, vous pouvez lire cet article du Télégramme sur la rentrée de la filière Droit en septembre 2011:

http://www.letelegramme.com/local/cotes-d-armor/saint-brieuc/ville/campus-mazier-la-rentree-pour-200-etudiants-en-droit-02-09-2011-1416457.php?utm_source=rss_telegramme&utm_medium=rss&utm_campaign=rss&xtor=RSS-21

 

Enfin, pour les illustrations sur la Révolution Française, c'est là:

"La Révolution Française par l'image 1789-1799"

http://1789-1799.blogspot.fr/2011/03/tenue-des-etats-generaux-1789.html

 

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